
Prédication du dimanche de Pâques
Temple de Jussy – Dimanche 20 avril 2025
Jean 20, 1-8
« Il vit et il crut »
Il vit et il crut.
Voici ce qu’expérimente le disciple que Jésus aimait lorsqu’il entre dans le tombeau ouvert.
Il voit quoi ? Il croit quoi ? Pour croire, qu’a-t-il vu que ni Marie de Magdala, ni Pierre n’ont vu ?
Comme Marie de Magdala, il a vu que la pierre a été ôtée du tombeau.
Vous savez, rien dans l’écriture de l’évangile selon Jean n’est anodin. Rien. Tout est signe, tout est symbolique, tout fait référence à d’autres textes dans l’Ancien testament ou à d’autres chapitres de l’évangile. Dans quel but ? Nous ouvrir à la profondeur de la compréhension de la Résurrection. Nous donner l’envie d’entrer dans une quête du sens, pour déployer le sens de notre vie, l’essence de notre vie.
Vous êtes prêts pour cette quête de sens, d’essentiel ? Oui ? Alors reprenons !
Contrairement aux autres évangiles où la pierre du tombeau a été roulée, dans Jean, il est écrit en grec qu’elle a été ôtée. Le rédacteur principal de cet évangile emploie le verbe : ôter, enlever, pas rouler. C’est une manière de signifier qu’un obstacle a été enlevé, ôté. Et qui va permettre à Marie et aux disciples de passer de la nuit au jour, des ténèbres à la lumière. Et quel est l’obstacle véritable enlevé au-delà de la pierre du tombeau sur ce chemin du croire, sur cet apprentissage de la foi ? Le corps de Jésus. Il n’est plus là. Lui aussi a été ôté. C’est le même verbe qui est employé pour la pierre du tombeau et le corps de Jésus. Les deux ont été ôtés. En deux versets, l’évangile selon jean nous permet de comprendre qu’un corps mort, dans un tombeau, ne peut en aucune façon nous parler de l’essentiel de Jésus comme du sens que cela déploie dans notre vie. Mais ça Marie ne l’a pas encore compris.
Marie, sûrement accompagné d’autres femmes, le dit bien au verset 2 : « ils ont ôté du tombeau le Seigneur et nous ne savons pas où ils l’ont mis ». Pour elles, le Seigneur est mort et son corps a disparu. Elles ne comprennent pas qu’une autre réalité est possible. Elles sont encore sous le choc de la croix et de la mort douloureuse de l’être chéri. Pour elles, dans le jour qui ne s’est pas encore levé, « la belle histoire » s’est arrêtée là. Au tombeau vide et au corps mort disparu.
Pierre et l’autre disciple se rendent alors avec précipitation au tombeau. Celui que Jésus aimait arrive en premier. En premier… C’est une manière pour la communauté johannique qui a écrit ce récit entre 80 et 100 de notre ère, de rappeler la place fondatrice de ce disciple bien aimé, pour elle. Nous y reviendrons plus tard.
Et comme Marie, ce disciple que Jésus aimait voit, constate que la pierre a été ôtée. Et aussi en se baissant, il voit les bandelettes. Et là, un nouvel indice nous est donné. Nous ne sommes pas dans la même histoire que celle de Lazare, le premier ressuscité. Car si le tombeau de Lazare devient vide, c’est parce que Jésus le ressuscite et que Lazare sort lui-même de sa tombe, entouré de toutes ses bandelettes. Lazare mourra physiquement à nouveau (11,44). Pas Jésus . Les bandelettes sont là, par terre, pas sur son corps. Ici, dans le tombeau vide, au matin de Pâques, il s’agit bien d’une résurrection d’un autre ordre.
Puis Pierre arrive et il va un bout plus loin. Il voit, il constate, avec le même verbe employé pour Marie comme pour l’autre disciple, la pierre ôtée, les bandelettes et le suaire (le linge entourant la tête de Jésus),bien plié. Là encore, un nouvel indice ! Le corps n’a pas été volé par des kidnappeurs. On ne prend pas le temps de bien plier le linge dans ces cas-là ! En résumé, il n’y a pas de corps mais des bandelettes et un linge. Ce n’est pas comme pour Lazare et en même temps ce n’est pas un vol du corps.
Nous sommes donc bel et bien devant un cas unique de résurrection. Celle du Christ !
Et le disciple que Jésus aimait le comprend. Il entre à son tour dans le tombeau. Il voit, il croit. Il voit quoi ? Nous ne le savons pas, a priori. Un indice est pourtant donné. Par le verbe employé pour dire il voit. Il s’agit d’un verbe qui signifie voir en contemplant, contempler. Non pas voir comme Marie ou Pierre ou lui-même que la pierre du tombeau a été ôtée ou les bandelettes et le suaire posés et pliés. Non, il contemple et il croit.
Il voit un tombeau vide, vide de corps, avec des bandelettes et un linge plié. Et dans ce vide, il contemple la résurrection. Il croit alors que Jésus de Nazareth est bien le Christ, le Fils de Dieu envoyé dans le monde et enlevé auprès du Père. Peut-être que dans ce tombeau vide, il se souvient des paroles de Jésus de Nazareth, comme celles trouvées en Jean 3 :
Ainsi le fils de l’homme doit-il être élevé afin que quiconque croit en lui ne meurt point mais ait la vie éternelle.
Ou encore de ses paroles en je suis : Je suis le chemin, la vérité et la vie (jn 11, 25), je suis la porte (Jn 10,9).
Peut-être…
Mais qui est-il vraiment pour contempler et croire ainsi, alors que Pierre et Marie auront besoin, comme tant d’autres, de voir pour croire, de rencontrer le ressuscité dans un jardin, au bord d’un lac, ou sur un chemin pour croire ? Qui est-il, alors que tant d’autres et nous peut-être, avons besoin de vivre une longue conversion du regard pour croire ?
Le disciple bien aimé, nous l’avons croisé pour la première fois lors du dernier repas du Christ (Jean 13, 23). Il est alors couché sur le sein de Jésus. Comme Jésus par rapport au Père, comme cela est écrit en jean 1,18. Il est ainsi dans une proximité, dans une intimité totale avec le Christ. Il est aussi présent au pied de la croix le vendredi saint (19,26-27). Jésus dit à sa mère qu’il devient désormais son fils à sa place. Elle résidera chez lui. Famille physique et spirituelle fusionnent ainsi, montrant que les frontières sociales ne sont plus cloisonnées. Au chapitre 21, il est aussi mentionné comme le témoin et l’interprète par excellence du Christ.
Le disciple bien aimé, nous ne pouvons lui donner un prénom ou un visage. Figure d’autorité, figure identitaire, nous sommes invités par lui à entrer dans ce même degré d’intimité avec le Christ. En croyant sans voir, ni corps, ni ressuscité. En contemplant seulement le vide. En acceptant que la foi commence, là où la vue s’arrête. En acceptant, que ce vide, nous pouvons le remplir librement de sens, pour vivre l’essentiel de notre vie. Victor Hugo écrivait face au décès de sa fille : nos chers défunts sont les invisibles mais ils ne sont pas les absents.
Voir autrement…
Le disciple que Jésus aimait, du verbe d’amour surabondant, en Jean 13 et 19, devient dans notre récit en Jean 20, le disciple que Jésus aimait avec le verbe philia : aimer avec amitié. C’est plus personnel.
Ce matin, à sa suite, nous pouvons comprendre, que nous aussi, nous pouvons passer à un autre niveau relationnel avec le Christ. Voir autrement… Contempler et croire… Certes, nous sommes déjà les bien aimés de Dieu, au moyen de sa grâce, par son amour surabondant gratuit et inaliénable. C’est ainsi. Nous n’avons rien eu à faire pour cela. Mais nous pouvons être dans un degré d’intimité supérieur avec le Christ, c’est-à-dire devenir son ami, son témoin fidèle, son interprète privilégié. Non pas un super héros de la foi, performant, sans doute, ni faiblesses. Mais un intime. Et reconnaitre par là même, nos frères et nos sœurs en Christ comme des intimes. Et ceci, en contemplant le vide ? En voyant autrement, oui. En faisant une conversion de nos yeux, de notre intelligence. En s’en remettant à l’invisible. Et non pas à l’absurde. Tout est dans le regard de la foi. Contempler la présence dans l’invisible. Pour y puiser une espérance nouvelle.
L’expérience de la résurrection qui ouvre à la vie éternelle, à une vie en plénitude ne se vit ainsi pas d’abord après notre mort terrestre. Comme pour le disciple, elle jaillit d’une rencontre vivante avec le Christ. Dans un voir autrement au-delà de l’absence, dans le ressenti d’une présence réelle, absolue, offerte par l’Esprit, dans la prière, les partages bibliques ou la main tendue. Ici et maintenant. Luther a écrit d’ailleurs : quand tu dis ou quand tu lis « le Christ est ressuscité », ajoute aussitôt « je suis ressuscité et tu es ressuscité avec lui. Nous sommes participants à sa résurrection.
Dans l’évangile selon Luc, nous pouvons aussi lire : Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous vivent par lui. (Luc 20)
C’est en étant pleinement vivant malgré et avec nos maladies, nos deuils, nos écueils, nos souffrances, dans un monde parcouru de violences et d’incertitude, c’est-à-dire en refusant le découragement et l’indifférence, l’ensevelissement sous la peur, la culpabilité, la tristesse ou la haine que nous ressuscitons à chaque instant. Que nous devenons l’intime du Christ. Même en contemplant le vide. Surtout en contemplant le vide.
La relation avec le Christ ne se rompt pas, parce qu’il est mort sur la croix. La relation ne se rompt pas, même s’il y a la mort physique de l’être aimé ou même notre propre mort. Avec le tombeau vide, nous sommes invités à faire l’expérience que la mort n’est pas la destruction de la personne, ni la mort du lien, seulement de son corps physique. L’absence n’empêche pas le ressenti de la présence réelle, de la présence spirituelle. Je sais que ce que je dis peut paraître odieux pour des personnes en deuil. Je ne cherche pas à choquer. Aussi, voici comment affiner mon propos. L’absence qui n’empêche pas d’expérimenter la présence réelle…
Les enfants vivent cela régulièrement. Ils ont souvent besoin que les parents laissent une veilleuse ou une petite lumière dans le couloir pour rappeler qu’ils ne sont pas loin, qu’ils veillent sur eux, qu’ils les aiment, même si les enfants ne les voient pas ou qu’ils dorment. Présence réelle-delà de l’absence. Présence spirituelle. Parfois c’est peu. Mais ce peu peut aider à consoler et à faire le pas d’après.
Ainsi, le vide n’est pas le rien, le néant. En cela l’évangile selon Jean rejoint la conception de la présence de Dieu pour les croyants juifs du second Temple. Dieu se rendait présent dans le saint des saints, pièce au cœur du temple de Jérusalem où seul le grand prêtre se rendait une fois par an. Et cette pièce était vide. Dans cette pièce se trouvait du vide. Rien ? Non. Tout ! L’infini de l’être. Invisible pour nos yeux. Irréductiblement présent. D’ailleurs, les études sur l’infiniment grand et sur l’infiniment petit ne nous apprennent-elles pas que le vide n’est pas le rien ?
Contemplons ainsi le vide du tombeau, l’absence de corps, la non vision du ressuscité pour expérimenter le Vivant. Et devenons, redevenons, dès maintenant, pleinement vivants à sa suite, en refusant les relations mortifères, en plaçant notre confiance dans celui qui prend soin du faible et du fragile en nous et autour de nous. Disciples bien aimés, amis du christ, l’enjeu de la résurrection n’est pas de regarder au ciel en attendant le retour du Sauveur ou de rester bloqués dans le tombeau de nos colères et de nos culpabilités ou encore errants dans nos cimetières de désespoirs et d’angoisses. Il s’agit de voir pleinement le visage du Christ dans celui de son prochain. Il s’agit d’aimer. En obéissant à son commandement, nous sommes ses intimes, nous vivons la résurrection qui relève et porte vie. Quel est-il ce commandement du Prince de la vie :
Aimez vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez vous les uns les autres. Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaitront que vous êtes mes disciples. (Jn 13, 34s).
Oui, ce matin, ressuscitons. Il existe deux verbes en grec pour dire la résurrection. Le premier signifier s’éveiller, se réveiller. Réveillons-nous ! ne restons pas passifs ! le deuxième signifie se mettre debout pour avancer, dans sa dignité. Allons, debout, marchons pour que le royaume de Dieu advienne pleinement. Pas dans mille ans, pas dans cent ans. Pas demain. Maintenant. Soyons des amoureux de la vie, des amoureux de la joie, de la bienveillance, de la bonté, de la douceur, de la tempérance. Nous sommes armés pour cela. Car nous sommes les bien aimés de Dieu.
Et comme dit Paul, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu révélé en JC.
Rien.
Ce matin, nous nous souvenons ainsi que la mort, les puissances de mort sont mises en échec en Christ. Et si la mort physique est un tragique inéluctable de toute vie terrestre, de notre vie terrestre, elle n’en est pas la finalité. Nous n’avons plus à en avoir peur. Elle est l’achèvement d’une histoire, non sa destruction. Nous vivons de cette promesse déjà expérimentée de la vie éternelle offerte à tous.
Témoignage de François.
La résurrection, ce n’est pas d’abord la vie après notre vie terrestre, la question de l’au-delà. Cela en fait partie mais cela n’est est qu’une partie.
La résurrection du Christ, c’est à sa suite , être éveillé, mis debout pour avancer dans la vie en plénitude, dans la qualité relationnelle avec Dieu, soi-même et les autres. C’est à la fois une présence irréductible et une promesse qui nous ouvre un avenir, un horizon de tous les possibles. Quel cadeau !
Contemple, crois, vis, joyeusement, éternellement. Cela commence maintenant. Alors, sème de l’amour. Sème ! Aime !
Amen